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Le roi Cantaloup

Un conte écrit par Mediana Stan, traduit par Iulia Tudos Codreanca, illustré par Ferenczi Zsolt

Il était une fois un roi qui aimait énormément les pastèques, c’est pourquoi on l’avait surnommé Cantaloup. Ses jardiniers s’efforçaient depuis des années ni  faire pousser ses fruits préférés. Le roi lui-même, qui aimait voir les semis germer et les pousses vertes sortir de la terre, plantait des graines apportées de contrées lointaines et soignait avec patience les pastèques qui, malheureusement, pourrissaient dans les champs avant de mûrir. De son côté, la reine, bien qu’elle partageât l’intérêt du roi pour les pastèques, aurait mieux aimé avoir un enfant, vu qu’elle n’était plus toute jeune et pensait qu’il n’y aurait personne pour s’occuper d’elle dans ses vieux jours.

Un jour, Brustur, le page du roi, malgré les stridulations du grillon qui dormait sous son oreiller, n’arriva pas ni  se réveiller de bon matin pour tirer sur les fenêtres de la chambre royale les rideaux décorés de pastèques, afin que le forte lumière du soleil n’importune pas son maître. Le roi se réveilla et s’aperçut que les fenêtres étaient découvertes et que le soleil déversait impitoyablement sa lumière dans la chambre ni  travers les carreaux en cristal.

- Brustuuuur !

Le page dormait dans sa chambrette, rompu de fatigue, parce qu’il avait arrosé des plants de pastèque toute la nuit. Il se réveilla en sursaut et accourut dans la chambre du roi. Il comprit aussitôt pourquoi on l’avait appelé.

- Pardon, votre majesté, je n’ai pas pu me réveiller parce que…

- Tais-toi, nigaud ! Si une chose pareille se reproduit, je t’enverrai élever des porcs en forêt et je ferai venir Cristur, le porcher, ni  ta place !

Brustur tira les rideaux décorés avec des pastèques vertes et quitta la pièce d’un air préoccupé.

Il alla plonger dans le tonneau rempli d’eau qu’il utilisait pour arroser le jardin et dans lequel il avait l’habitude de se baigner tous les jours et lí , il se mit ni  réfléchir. Le porcher était le seul ni  qui il n’avait pas demandé pourquoi les pastèques du roi ne poussaient pas. Il irait chez lui et lui demanderait, on ne savait jamais ! Il sortit de son tonneau, s’habilla et se mit en route dans sa vieille voiture déglinguée vers la forêt qu’on distinguait au loin, lí  où les cochons du roi se gavaient de glands. Après l’avoir longtemps cherché, il trouva enfin le porcher Cristur et lui dit :

- Notre roi aime les pastèques et nous peinons depuis des années ni  en faire pousser mais dès que les fruits s’épanouissent, ils se mettent ni  pourrir et notre travail part en eau de boudin. Saurais-tu ce qu’il faut faire ?

- Si ça se trouve, il pleut trop pour les pastèques, dit le porcher, toutefois reviens demain car j’ai quelques graines apportées directement du Pays Verdoyant, fameux pour ses pastèques. Mais je dois d’abord les trouver

Brustur le remercia et revint au château. Fatigué par ses soucis de pastèques et par le long voyage dans sa vieille guimbarde, il fut incapable, encore une fois, de se réveiller le lendemain pour remplir ses devoirs auprès dur roi.

Le roi se réveilla avec le soleil dans la figure et, comme le matin précédent, il hurla un bon coup « Brustuuur », si fort que les vitres en cristal se brisèrent et que toute la pièce se remplit d’éclats minuscules, comme des grains de sable. Le page ouvrit la porte et vit le roi et la reine ni  moitié assis dans leur lit doré, complètement ahuris, couverts d’une poussière qui étincelait sous les rayons du soleil. Brustur ne résista pas ni  cette terrible vision et s’écroula  par terre sans connaissance

Mais cela n’attendrit pas le roi. Brustur dut sans tarder jeter dans sa voiture un balluchon avec ses vêtements et ses autres affaires et se diriger vers la forêt où habitait le porcher Cristur.

- Tu es revenu ! dit le porcher, tout content de le voir. Et il accourut dans sa maison d’où il revint avec un petit sachet noué. Il dit :

- Apporte ceci au roi et dis aux jardiniers de semer ces graines dès demain !

- Le roi a ordonné que tu ailles au château pour être page ni  ma place et que je reste ici pour m’occuper des cochons, répondit le pauvre Brustur.

- Hm, nous irons au château tous les deux et mes frères prendront soin des cochons.

Brustur pensa que le roi allait lui pardonner s’il lui apportait ces fameuses graines, et par conséquent, il ne resta pas longtemps ni  discutailler. Ils montèrent tous les deux dans la vieille voiture chauffée par le soleil et prirent le chemin poussiéreux qui menait au château.

Lorsqulils arrivèrent, le roi Cantaloup était dans la salle du trône et discutait avec son Premier ministre Ortie. En les voyant, le roi devint tout rouge de colère et le ministre tortilla sa longue barbe broussailleuse et les transperça d’un regard sinistre et plein de mépris.

Brustur se mit ni  genoux sur le tapis et tendit le sachet au roi.

- Ce sont des graines de pastèques du Pays Verdoyant, votre majesté !

Le roi tendit la main ni  son tour pour attraper le sachet, puis il hésita un peu, car il aurait bien aimé corriger de manière exemplaire les deux jeunes gens qui n’avaient pas tenu compte de ses ordres ; cependant, quelque chose l’en empêcha. Il attrapa donc le sachet, l’ouvrit et déversa les graines noires sur un plateau d’argent.

- Vous deux, vous allez tout de suite semer ces graines et si elles ne donnent toujours pas de pastèques, ce sont vos têtes qui prendront leur place sur ce plateau !

Cristur et Brustur apprêtèrent le champ et semèrent les graines. Les petits plants poussèrent rapidement et donnèrent des vrilles. Les pastèques apparurent, vertes d’abord, mais aussitôt, les jardiniers s’aperçurent qu’il se passait la même chose étrange : les fruits ni  peine formés commençaient ni  pourrir.

Les deux pages sillonnaient le champ en retournant les pastèques de tous les côtés et c’est alors qu’ils virent avec ravissement que l’une d’entre elles était saine et continuait ni  s’arrondir. Lorsqulelle fut bonne ni  manger, les pages la cueillirent, la posèrent sur un plateau en or et la montrèrent au roi et ni  toute sa cour.

Le roi était ni  moitié content, car depuis de longues années ses terres n’avaient donné aucune pastèque, mais aussi ni  moitié fâché : comment était-ce possible, une seule pastèque sur tout le champ ?

Il prit le grand couteau en argent et voulut percer la peau de la pastèque, mais le couteau glissa et la pastèque roula dans le grand escalier, pendant que les gens de la cour lui courraient après pour l’attraper avant qu’elle ne se brise.

Cependant, la pastèque roula sous les sièges, dans les couloirs, dans la salle d’armes, tantôt cachée, tantôt en vue, et dès que quelqulun pensait lui avoir mis la main dessus, la pastèque se remettait ni  rouler ; et c’est ainsi qu’elle arriva dans la chambre du roi ou elle s’arrêta devant un rideau décoré de pastèques qui tombait jusqulí  terre, de sorte qu’on avait beau la chercher, on ne la voyait plus.

Le roi se pencha, écarta les couvertures et regarda attentivement sous le lit, mais toujours rien ! Lorsque la nuit tomba, il cessa les recherches et se coucha. Il ferma les portes ni  c’é et les serviteurs passèrent la nuit ni  chercher la pastèque dans tout le château. Et ils cherchèrent jusqulau matin lorsqulils tombèrent tous raides de dépit et de fatigue

Le matin, il n’y eut personne pour tirer les rideaux du roi mais celui-ci ne se fâcha pas, car la lumière tombait en plein sur la pastèque qui, la veille, s’était confondue avec le rideau, et ce fut la première chose qu’il vit en se réveillant.

- Te voilí  toi, où étais-tu cachée ! s’exclama-t-il, étonné.

- Toc, toc !

Brustur et Cristur entrèrent tout pâles et tremblants.

- Votre majesté, on dirait que la terre a englouti la pastèque.

- Clest vous qu’elle va engloutir, espèce de nigauds, et plus tôt que vous ne le croyez ! La voilí  ! dit-il en montrant la pastèque.

Les deux pages soulevèrent la pastèque pour l’emmener mais le roi les suivit avec son couteau car il voulait trancher la pastèque pour la manger. Mais lorsqulil pointa le couteau sur elle, celle-ci s’échappa de nouveau et se mit ni  rouler, suivie par tous les ministres. Et comme la veille, dès qu’ils croyaient lui mettre la main dessus, la pastèque trouvait moyen de leur échapper et se glissait tantôt sous un fauteuil, tantôt sous une table ou derrière une statue. A un moment, le Premier ministre se mit en travers de son chemin en disant :

- Lí , pas question que tu m’échappes ! Mais la pastèque lui passa entre les jambes et le Premier ministre tomba ni  la renverse dans le grand escalier de la salle du trône.

Après cette petite aventure, la pastèque arriva sous une tonnelle où se tenait la reine qui était en train de faire de la broderie. Elle se cacha ni  ses pieds sous ses larges jupons de soie. Lorsqulelle finit de broder, la reine étira ses bras pour se dégourdir puis elle se leva, se prit les pieds dans la pastèque et tomba dessus. La pastèque roula un peu et la reine gloussa. Alors la pastèque se mit ni  faire tournicoter la reine sous la tonnelle et celle-ci s’amusait et riait aux éclats. Les dames de compagnie se précipitèrent pour découvrir pourquoi la reine riait de la sorte et elles furent tout ébahies de la voir pirouetter ni  dada sur la pastèque.

- Assez, j’ai le vertige ! cria la reine et la pastèque s’arrêta. Puis la reine s’en alla dans sa chambre suivie par ses dames de compagnie et par la pastèque qui roulait dans leurs jupes.

La reine se dirigea vers le miroir. Elle prit la pastèque et la posa sur son ventre, se mit de profil et se regarda en soupirant. Alors la pastèque se fondit dans le ventre de la reine et celle-ci devint tout ni  coup une femme enceinte prête ni  accoucher. La reine et les dames furent un peu effrayées, mais elle furent contentes en même temps.

La reine s’en alla s’asseoir solennellement sur le trône pendant que le roi et ses domestiques circulaient ni  quatre pattes sous les tables ni  la recherche de la pastèque. Elle sourit et leur dit :

- Ne cherchez plus la pastèque, elle est chez moi.

Llétonnement du roi fut sans limites. Il se demandait : qu’est-ce que la reine va bien pouvoir mettre au monde puisque ni  l’intérieur de son ventre se trouve une pastèque ? Mais lorsqulil toucha le ventre de la reine, il sentit ni  l’intérieur une créature vivante qui bougeait comme les enfants dans le ventre de leurs mères.

Peu de temps après cela, la reine donna naissance ni  un beau gros garçon. Le roi n’en pouvait plus de joie et pendant trois jours ils ne firent que manger et festoyer. Ils appelèrent le prince Melon Charmant et celui-ci poussait en un an comme d’autres en sept ans.

Après la naissance du garçon, les pastèques commencèrent ni  pousser dans les champs du roi et ni  mûrir sans faire de difficultés. Elles étaient si sucrées et savoureuses que leur renommée dépassa les frontières du royaume. Le roi voisin, Ciguë, demanda des graines et Brustur et Cristur, devenus ministres, lui en envoyèrent. Seulement rien ne poussa sur la terre du roi Ciguë.

Furieux, celui-ci leva une armée et s’en alla dévaster les champs du roi Cantaloup.

Le roi Cantaloup en fut très fâché, car c’était un roi pacifique et il n’y connaissait pas grand chose aux guerres, mais le prince Melon Charmant lui dit :

- Ne t’en fais pas, papa ! Et ni  son signal toutes les pastèques du champ sortirent de leurs creux et formèrent une armée qui roula vers celle du roi Ciguë. Les pastèques roulaient si vite qu’elles renversèrent les soldats. Pendant ce temps le prince Melon Charmant tirait sur eux ni  la grenaille en s’abritant derrières les pastèques. En une seule journée, la bataille prit fin et l’armée du voisin fut vaincue.

Une année plus tard, le roi Ciguë partit de nouveau en guerre contre le roi Cantaloup.

Cette fois-ci, son armée était deux fois plus nombreuse, mais d’un autre côté, les pastèques de son voisin s’étaient multipliées au centuple

Les soldats du roi Cantaloup fabriquèrent des catapultes ni  pastèques et il frappèrent l’ennemi jusqulí  l’anéantissement.

Le roi Ciguë n’en démordit pas. Il rassembla le conseil du pays et ils décidèrent de détruire d’abord les pastèques et ensuite de s’attaquer au roi Cantaloup.

Ils envoyèrent une armée de hamsters affamés qui envahit les champs du roi Cantaloup pour grignoter ses pastèques. Mais peu de temps après, le roi Ciguë eut la surprise de voir arriver le prince Melon Charmant ni  la tête d’une armée de hamsters géants aux bedaines remplies de pastèque, gras, rassasiés et armés de fusils. Clest alors qu’une terrible bataille s’engagea.

Soudainement, au milieu des combats, apparut, monté sur un cheval blanc, un cavalier dont les longs cheveux sortaient de sous son heaume. Il ôta son couvre-chef et on s’aperçut que c’était la fille du roi Ciguë, si belle qu’on aurait dit un soleil ! La fille cria :

- Hé, prince Melon Charmant, cesse le combat et je serai ton épouse!

Le prince Melon Charmant la regarda en mettant la main en visière. Aussitôt, le combat prit fin et on signa la paix.

Le prince, la princesse et le roi Ciguë se rendirent au château du roi Cantaloup. Clest lí  que les deux jeunes gens se marièrent et les festivités durèrent trois jours.

Le roi Ciguë leur donna un quart de son royaume, mais comme il était très radin, après un certain temps il leur demanda de le lui rendre. Le prince Melon Charmant et la princesse trouvèrent cela très drôle. Ils lui rendirent la terre couverte de champs de pastèque, après quoi ils vécurent heureux et s’ils ne sont pas morts, il est probable qu’ils vivent encore.