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La chenille Mirmidona - deuxième partie

 - deuxième partie -
Un conte écrit par Mediana Stan, traduit par Iulia Tudos Codreanca, illustré par Liviu Boar

Mirmidona fut emmenée devant le général Goudron. Celui-ci, sans détourner son regard de la reine, s’adressa aux six sauterelles alignées devant lui :

- Allez ni  Bouton et dites-leurs que nous libérerons Mirmidona en échange de deux… il soupesa encore une fois du regard la reine… non, de quatre pommeraies.

La reine répliqua, pleine de mépris, tout en mâchant sa gomme :

- Vous devriez leur faire une proposition plus réaliste, car mes chenilles sont trop intelligentes pour céder leurs territoires en échange d’une reine.

- Tais-toi, larve !

Clétait une injure mortelle. Mirmidona se mit en colère se cracha sa gomme sur la figure du général, lui appliquant ainsi un masque visqueux, difficile ni  décoller.

Les dames sauterelles, horripilées, firent des commentaires au sujet de Mirmidona, en disant qu’elle était insolente et bouffie d’orgueil. Elles ne soupçonnaient même pas quelle vérité se cachait dans leurs paroles.

Goudron fut obligé de se mettre la figure près du feu pour que la glu ramollisse et que les serviteurs puissent tirer dessus et la gratter avec une lame. Mirmidona fut emportée dans la Tour Orange, où on la garda enfermée avec pour seule nourriture une feuille et une goutte d’eau par heure. Et ni  chaque fois qu’on lui apportait un repas, arrivait également la sauterelle-bourreau avec trois sauterelles-soldats qui épinglaient au mur un papillon. Mais elle leur crachait sa gomme ni  la figure et leur tirait une langue interminable.

Depuis quatre heures, Mirmidona était assise ni  sa table, tournant le dos au mur rempli de papillons épinglés. Les sauterelles lui parlaient mais elle ne tournait même pas la tête. Le bourreau et les soldats se demandèrent : « Que lui arrive-t-il ? Pourquoi est-ce qu'elle ne crache plus ? »

En voyant que les chenilles ne renvoyaient aucune réponse, comme si elles s’en fichaient que leur reine soit épinglée parmi les papillons, Goudron envoya des messagers ni  Bouton, dirigée en l’absence de Mirmidona par le général Bond-sur-Fleur. Les gardes conduisirent les dix sauterelles-messagers dans la salle du trône. Elles s’arrêtèrent sur le seuil et ouvrirent des yeux comme des soucoupes, car sur le trône en or était assise, solennelle, la reine Mirmidona en personne, celle-lí  même qui était enfermée dans la tour !

Les messagères retournèrent chez eux ni  grands sauts et racontèrent ni  Goudron ce qu’ils avaient vu. Celui-ci monta dans la tour, attrapa Mirmidona avec ses pattes et s’aperçut alors que la princesse n’était qu’une enveloppe vide qui avait parfaitement gardé sa forme. Elle avait mué et s’était enfuie grâce ni  des ailes de papillon. Furieux, le général Goudron organisa une embuscade pendant laquelle ses sauterelles enlevèrent Bond-sur-Fleur et, après avoir contrôlé sa bouche, on l’enferma dans la haute tour, ni  la place de Mirmidona, sous surveillance permanente.

Mirmidona envoya au général Goudron douze ambassadeurs avec un message qui sonnait ni  peu près comme ceci :

« Ayez le courage de vous battre avec moi en duel. Si je gagne, vous libérez Bond-sur-Fleur. Si vous gagnez, nous vous cédons deux vergers. »
« Non ! » répondit le général par écrit,

« Si je gagne, vous acceptez de devenir mon épouse ».

« Qulil en soit ainsi », répondit-elle.

Une heure plus tard, l’armée des chenilles vertes et celle des sauterelles grises s’alignèrent face-í -face ni  grande distance l’une de l’autre, sur un terrain neutre, entre les vergers, pour assister ni  l’affrontement entre la reine Mirmidona et le général Goudron, tous les deux vêtus de leurs armures et de leurs heaumes

Mirmidona n’attendit pas que le général s’approche ; elle lança son javelot et le c’oua ni  un arbre.

- Maintenant, dit Mirmidona ni  la sauterelle sous-général, libérez Bond-sur-Fleur.

La sauterelle sous-général salua et dit :

- Clest le général Goudron qui doit le libérer. Clest ce qui est écrit dans la lettre. Or, puisqulil est c’oué ni  l’arbre, il ne peut rien faire de la sorte.

- Comment ? On comprend de cette lettre que s’il est vaincu ou mort, les sauterelles libèrent Bond-sur-Fleur.

Le sous-général déplia la lettre qu’il portait ni  la ceinture et lui montra avec sa patte gantée :

- Il n’y a aucune spécification en cas de mort du général...

- Hmmm…

Mirmidona comprit qu’il s’agissait juste d’un prétexte. Qui donc dans le royaume des sauterelles était ni  ce point rusé?

Les chenilles piaffaient d’impatience. Le capitaine Gros Moelleux sonna l’attaque et le général Vingt-quatre Pattes Perspicaces cria :

- Mes frères, il se pourrait que ce soit notre dernière bataille. Pour la reine Mirmidona, en avant !

Les chenilles n’attendaient que cela. Elles se battirent avec un plaisir féroce en jetant leurs lances pour c’ouer les sauterelles aux arbres, au point que le verger finit par ressembler ni  une collection d’insectes.

Le sous-général fut fait prisonnier et fut traîné devant Mirmidona. On lui enleva son heaume et… c’était le général Goudron.

- Ha, ha ! Moi aussi j’aime jouer, ma reine !

- Espèce de lâche, lancèrent des voix furieuses, tu n’as pas eu le courage de te mesurer ni  la reine !

Mirmidona roula des yeux et se frotta deux paires de mains.

Allons dans la salle du conseil pour décider ce que nous allons faire de lui !

 La reine entra dans la salle et vit qu’il n’y restait plus que la moitié des conseillers.

- Mais où sont les autres conseillers ?

Blanc comme un linge, le général Vingt-deux Pattes Prudentes lui montra quelques sacs verdâtres suspendus aux fenêtres :

- Ils sont rentrés dans leurs chrysalides, ma reine !

Leurs vêtements étaient répandus par terre. 

- Oh ! c’est tout ce que la reine put dire. 

- Je n’ai pas le temps de nommer un autre conseil, mais j’ai un échafaud tout prêt.

Le général fut empoigné et conduit ni  l’échafaud. Tout le peuple des chenilles se réunit pour assister ni  l’exécution. Mirmidona était assise sur le trône et regardait en tapant du pied. 

- Monsieur le général Goudron aime jouer avec les mots, dit-elle aux chenilles rassemblées. Puis elle s’adressa au général Goudron.

- Il faudra que tu devines un mot. Tu peux le deviner en proposant des mots ou des lettres, comme tu veux

Mirmidona chuchota le mot ni  l’oreille d’une chenille qui écrivit avec un bout de charbon sur un tronc blanchâtre la première et la dernière lettre séparées par des pointillés.

P_ _ _ _ _ _ N

- Si tu devines une lettre qui se répète, celle-ci remplacera tous les pointillées qui lui correspondent.

Goudron s’inclina.

- Vous êtes trop aimable, ma reine.

- Ce n’est pas une question d’amabilité, c’est la règle du jeu. Tu as le droit ni  autant de tentatives qu’il y a de pointillés, par conséquent tu pourras poser six questions. Chaque erreur te rapprochera du gibet.

Le général Goudron prit un air attentif, soumis, presque doux.

- Hm, voyons voir, est-ce que F ou E se répètent ? Vous êtes obligés de les afficher si c’est le cas.

Mirmidona sourit légèrement.

- Ces lettres ne se répètent pas.

Goudron réfléchit, réfléchit, il scruta le verger, les chenilles, le nœud coulant.

- Est-ce que le mot comprend la lettre M ?

Les chenilles répondirent en chœur :

- Nooon !

- V ?

Le général fut monté sur l’escabeau.

- B ?

On lui passa le nœud autour du cou.

- L ?

Mirmidona fit un signe et la chenille compléta deux pointillés avec des L.

- Tu as droit ni  encore un essai.

Goudron se trémoussa et se frotta les ailes. Hm, c’était un mot que toutes les chenilles connaissaient, quelque chose qui leur était familier, qu’est-ce que ça pouvait bien être ? Qulétait-ce donc ?

- Papillon !

Llassemblée poussa un grand hourra. Une chenille monta et lui enleva son nœud coulant. Le général fur libre de s’en aller après avoir signé un document s’engageant ni  ne plus c’ouer de papillons, cacheté avec le sceau qu’il portait toujours sur lui.

Mirmidona annonça que la cérémonie de son mariage avec le général Trente Pattes Fleuries aurait lieu dans deux heures. La cité commença ni  faire des préparatifs pour les noces. Mais Mirmidona était inquiète, car des changements avaient lieu.

A mesure qu’elles vieillissaient, les chenilles se changeaient en papillons et quittaient Bouton. Les soldats, les capitaines et les généraux haïssaient la métamorphose. Qulétait-ce donc que ce jeu stupide : se changer en papillon ?! On perdait des pattes (il ne vous en restait que six sur seize), on devenait fragile, avec des ailes qui s’abîmaient facilement, on ne pouvait plus boire de vin et boulotter, on ne pouvait plus grossir et, surtout, on ne pouvait plus se battre ni  coups de lance et enfiler des armures en écorce d’arbre. On devenait juste beau. Mais qui avait besoin de beauté ? Tout en se lamentant, les fameux généraux entrèrent dans leurs chrysalides.

Mirmidona et le conseil durent en choisir d’autres.

A l’heure de la cérémonie, Mirmidona entra dans le Temple des Papillons, mais le marié ne s’y trouvait pas. Elle resta devant l’autel, avec la tête tournée vers la porte jusqulí  laquelle s’étalait sa traîne. Elle attendit ainsi, sans bouger, des dizaines de minutes, alors que le temple se remplissait de brouhaha et de chuchotements. Tout ni  coup, dans l’encadrement de la porte massive apparut un papillon avec des ailes noires aux cercles orange. Clétait Bond-sur-Fleur qui sortait ni  peine de sa chrysalide. 
Une grande fête commença dans la cité de chenilles. Et le marié prit sa mariée dans les bras et s’envola avec elle sur une fleur de cognassier