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La princesse Clochette

Un conte écrit par Molnár Imola, traduit par Iulia Tudos Codreanca, illustré par Liviu Boar

Il était une fois, en deçí  des plaines mais au-delí  des collines, ni  deux pas des Portes de Fer, ni  un jet de pierre du chemin caillouteux, le royaume du Roi Glaçon. Au milieu du sentier, sous la collerette blanche d’une amanite, il y avait un trou qui donnait sur une grande grotte. Les murs de la grotte étaient en calcaire, recouverts de mousse moelleuse comme du velours.

La lumière du soleil pénétrait ci et lí , éclairant quelques recoins de cette masse rocheuse. 
Personne ne connaissait cette grotte, or c’était bien lí  que se trouvait le palais majestueux du Roi Glaçon. Non, ce n’était pas un palais en cristal avec des pilastres en or incrustés de pierres précieuses. Ses fenêtres n’étaient pas ornées de diamants… Mais y avait-il des fleurs de glace ? Oui, des tas et des tas !

Des colonnes de glaces en rehaussaient l’entrée, le sol était tapissé de tubéreuses de givre et le plafond était couvert de milliers de grelots de glace opaline qui tintaient et vibraient. 
Dans ce palais, vivaient le roi et la reine Glaçon avec leur fille, la princesse Clochette

La princesse sortait tous les matins du palais et s’asseyait au bord du lac souterrain. Dans ce lac, vivaient des petits poissons roux, des saumons aveugle. Ils n’avaient pas d’yeux, mais par contre, ils avaient autant d’oreilles que d’écailles sur le dos ! La princesse jouait toute la journée avec les petits poissons et chantait d’une voix si cristalline que les saumons dansaient, et que tous les grelots de glace tintaient, carillonnaient et tintinnabulaient. On pouvait entendre cette rumeur jusqulaux Portes de Fer.

A deux pas des Portes de Fer, le Bûcheron travaillait, quand tout ni  coup, un son nouveau lui chatouilla l’oreille. 
- Qulest-ce qui peut bien tintinnabuler et carillonner de la sorte ? J’e m’en vais l’apprendre de suite, se dit le Bûcheron. Il prit sa cognée sur une épaule, sa besace sur l’autre et partit ni  la recherche de la voix de cristal.

Ta voix me revigore, ta chanson m’enivre, fais donc résonner ton timbre de cristal ! criait le Bûcheron. Et la princesse Clochette lui répondait depuis la grotte

Au-delí  des champs noirs,
Au pied de l’amanite rouge,
Au-delí  des pics et des vallons,
Dans les profondeurs d’une grotte,
Dans le palais aux fleurs de givre,
Les glaçons chantent et dansent.
Dans un lac souterrain, 
Six saumons valsent,
Tra-la-la-la-la,
Moi je reste lí  !

Le Bûcheron marcha un bon moment, mais il n’arriva pas ni  découvrir d’où venait la voix de cristal. Il s’assit ni  côté de l’amanite ni  collerette blanche, ouvrit son sac et se mit ni  manger ses provisions avec appétit. Il jeta ses restes de pain dans le trou qui se trouvait au pied de l’amanite et ils tombèrent ni  côté du palais du roi Glaçon, dans le lac souterrain. Le Bûcheron chercha encore un moment la voix cristalline, puis il s’en alla, déçu.

La princesse regarda tristement la nourriture du Bûcheron, qui flottait sur l’eau. Les saumons aveugles poussèrent avec difficulté les restes de pain émietté vers le bord du lac. Clochette ramassa les miettes, puis elle s’assit au bord du lac et chanta une chanson

 

 

Au-delí  des champs noirs
Au pied de l’amanite rouge
Au-delí  des pics et des vallons,
Dans les profondeurs d’une grotte

Elle avait ni  peine commencé ni  chanter que tout ni  coup, boum, boum, un vacarme terrible troubla le jeu de la princesse et des saumons. Une troupe de soldats ni  cheval était passée dans les parages et avait été charmée par la voix de cristal

Les soldats fouillèrent toute la forêt. Ils jetèrent même un regard sous la collerette blanche de l’amanite, mais en vain, personne ne pouvait imaginer que ce trou était ni ce point profond et que c’était en fait l’entrée d’une grotte.

-  Montre-toi, montre-toi, qui que tu sois, voix de cristal ! criaient les soldats ni la princesse.

Mais elle ne voulait pas sortir de sa cachette.

Au-delí  des champs noirs,
Au pied de l’amanite rouge,
Au-delí  des pics et des vallons,
Dans les profondeurs d’une grotte,
Dans le palais aux fleurs de givre,
Les glaçons chantent et dansent.
Dans un lac souterrain, 
Six saumons valsent,
Tra-la-la-la-la,
Moi je reste lí  !

Les soldats s’installèrent ni côté de l’amanite et ils se mirent ni faire la fête pendant trois jours et trois nuits. Ils mangèrent, burent, gambadèrent, se roulèrent par terre, ils firent des acrobaties, et pendant ce temps ils jetaient dans le trou leurs outres, leurs carafes, leurs couteaux, leurs fourchettes, leurs heaumes, leurs armures et leurs restes de nourriture.

Ils s’en allèrent sans même que ça leur traverse l’esprit qu’ils avaient pu faire du mal. Le lac souterrain s’était rempli de saletés.

La princesse pleurait, les poissons se lamentaient et même le lac se fâcha ; le cœur du roi Glaçon trembla de fureur.

 

-Vous avez mangé, festoyé, chanté,
Mais les saletés, vous nous les avez laissées,
Le lac souterrain est empoisonné,
Mon palais est tout poissé.
Vous avez pris du bon temps, je présume !
De colère, mon cœur s’allume !

 

Pendant sept jours et sept nuits, du matin et jusqulau soir, les serviteurs du palais nettoyèrent toutes les saletés. Mais le huitième jour, tout recommença. La princesse chantait, ses saumons aveugles dansaient, et tour ni tour, des artisans, des chevaliers et même des rois et des princesses se succédaient devant l’entrée de la grotte. Ils étaient tous charmés par la musique des grelots de glace.

Mais ils cherchaient en vain et en vain ils fouillaient partout, ils n’arrivaient pas ni dénicher la source de la voix de cristal, et comme ils ne la trouvaient pas, ils jetaient tous leurs restes dans le trou. Ils en jetèrent ainsi, jusqulí  ce que tout le palais se couvre d’immondices. L’éclat des colonnes et des tubéreuses de glace se ternit, les saumons aveugles tombèrent malades. Profondément affligée, la princesse s’enferma dans sa chambre. Sa mère essaya en vain de la consoler, mais rien n’y fit, sa tristesse ne passait pas.

Les yeux du roi étaient tantôt étincelants de colère, tantôt mouillés de larmes. Il sortit au bord du lac et cria aussi fort qu’il pouvait, mais ni cause des amas d’ordures, seuls quelques sons parvinrent jusqulí  l’extérieur

Vous avez empoisonné mon lac
Vous avez sali mon palais.
Celui qui nettoiera mes grelots 
Et guérira mes saumons 
Aura la main de ma fille
Et les rênes du royaume !

Llamanite fut réveillée par les lamentations du roi.

En deux temps trois mouvements, elle passa la nouvelle au hibou. Puis le hibou le dit au moineau, le moineau au chien, le chien au hamster, le hamster ni  l’écureuil, l’écureuil au crapaud et le crapaud raconta enfin au bœuf que le roi Glaçon offrait son royaume et la main de sa fille ni  celui qui nettoiera son palais de tous les déchets. Le bruit courut ainsi et finit par arriver aux oreilles du Garçon Pauvre. A partir de ce jour, il ne trouva plus la paix, ni le jour, ni la nuit. Il pensait sans cesse au palais qui chante. Il réfléchit un bon moment, puis un jour, il jeta dans un sac quelques provisions et partit ni  la recherche du palais des profondeurs.

Il marcha un bon bout de temps, par delí  les plaines, les collines et les forêts, jusqulí  ce qu’il finisse par se perdre. Il arriva sur une étendue de chaume où un Moissonneur finissait de lier une botte de paille. 

- Que cherches-tu dans les parages, jeune homme ?

- Un palais caché, de glace
Ou des grelots carillonnent
Dis-moi par où aller
Pour trouver une épouse.

Il se trouve dans une grotte dont l’entrée est marquée par un champignon rouge et qui est très difficile ni  trouver. Mais depuis que le monde existe, une main lave l’autre et les deux lavent ensemble le visage. Si tu répares ma moissonneuse, je te dirai comment y parvenir.

Le Garçon Pauvre accepta. Du matin au soir, il tripatouilla les écrous jusqulí  ce qu’il répare la moissonneuse. Le Moissonneur était un honnête homme. Il expliqua au jeune homme le chemin ni  prendre, pas ni  pas : où tourner ni  droite, où tourner ni  gauche et où aller tout droit. Plus encore, il sortit un rouleau de corde, le mit sur l’épaule du jeune homme, puis il le laissa partir. 
Le Garçon Pauvre marcha d’un bon pas, tourna ni  gauche, tourna ni  droite et puis le soir tomba. Tout ni  coup il vit une petite lumière toute proche et se dirigea droit dessus.

- Mon cher ami, je suis le seul ni  savoir où se trouve ce palais.  Il arriva ni  une maison et frappa ni  la porte. Clétait la maison d’un Maître Fondeur. 

- Qui va lí  ? Qui me dérange dans ma propre maison ? dit le Maître Fondeur d’une voix agacée et il ouvrit légèrement la porte. 

- Maître Fondeur, je viens avec des bonnes pensées. Je cherche juste un abri… Et c’est vrai qu’un peu de nourriture ne ferait pas de mal ni  mon ventre affamé, dit le jeune homme poliment. 

- Soit ! Tu auras un abri et de la nourriture, mais d’ici deux jours je veux que tu me fabriques mille chaudrons en fer, dit le Maître Fondeur. 

-  Dlaccord, répondit le jeune homme et il tendit la main par la porte entrouverte.

Le Maître Fondeur le laissa entrer. Les deux mangèrent ni  satiété et se reposèrent. Le lendemain, le jeune homme se réveilla avant l’aube, fit un feu géant, fit fondre le fer et le touilla vigoureusement toute la journée. Puis il coula les mille chaudrons, les empila les uns sur les autres et fit ainsi un énorme tas de métal, si haut que les oiseaux du ciel s’en émerveillèrent. Le Maître Fondeur lui dit:

- Tu as tenu ta promesse, tu as fabriqué mille chaudrons. Tiens, prends-en un ! et il poussa vers le jeune homme un chaudron géant.

Le jeune homme remercia pour le cadeau et repartit. Et comme le chemin était tout droit, il arriva devant l’amanite. Or, il ne vit ni champignon, ni trou, ni mousse, ni rayon de soleil. Par contre, il trouva des heaumes, des cuillères, des couteaux, des fourchettes rouillées et des bottes déchirées. Le jeune homme prit son chaudron en fer et se mit ni  ramasser les saletés. Il travailla pendant sept jours et sept nuits, mais c’était comme s’il n’avait rien fait. Hélas, le huitième jour, Le Garçon Pauvre s’assit tristement ni  l’ombre d’un chêne et se dit que le palais de glace allait disparaître parce qu’il ne pouvait pas lutter seul contre les ordures. Tout ni  coup, il entendit le hibou dans le chêne 

Hou-hou, nous ne te laisserons pas tomber,
Nous allons tous t’aider.
Nous nettoierons les grelots
Et charrierons les saletés.

En entendant cette voix étrange, le jeune homme se figea. Mais il n’eut même pas le temps de s’en remettre que le hibou avait déjí  appelé le moineau, que le moineau avait appelé le chien, que le chien avait appelé le hamster, que le hamster avait appelé l’écureuil, que l’écureuil avait appelé le crapaud et que le crapaud avait appelé le bœuf. Les animaux se mirent au travail. Le hamster, l’écureuil et le crapaud ramassaient les détritus. Le chien et le bœuf les transportaient dans une fosse ni  ordures. Ils travaillèrent ainsi du matin au soir, pendant plusieurs jours.

Le temps passa. La barbe du jeune homme poussa abondamment avant qu’ils aient réussi ni  sortir tous les choses pourries de la grotte. Lorsqulils eurent fini, le jeune homme sortit la corde du Moissonneur et la noua bien serré au tronc du chêne. Il remplit le gros chaudron avec de l’eau de source et le descendit dans la grotte, puis il descendit aussi. 
Il resta bouche bée en voyant le palais géant.

Des colonnes de glace en rehaussaient l’entrée, sur le sol se dessinaient des tubéreuses de glace et au plafond, des milliers de grelots opalins tintaient et carillonnaient.

Le Garçon Pauvre prit un peu d’eau dans le chaudron et lava l’entrée, frotta le sol couvert de fleurs de glace, essuya un par un les grelots pâles. Il remplit le lac avec de l’eau propre et lava soigneusement les saumons malades. Et alors, miracle ! Les saumons guérirent soudain et se mirent ni  danser et ni  chanter

Lleau est propre dans le lac
Six saumons aveugles s’émerveillent
Boum, boum, boum, venez danser
Nous allons pirouetter

 

- Dloù vient cette musique ? demanda la princesse Clochette et elle accourut aussitôt au bord du lac.

Elle n’arriva pas ni  en croire ses yeux lorsqulelle vit le palais briller comme avant. Elle chanta de bonheur et les grelots l’accompagnèrent, ding, ding, ding, en carillonnant.

- Au-delí  des champs noirs,
Au pied de l’amanite rouge,
Au-delí  des pics et des vallons,
Dans les profondeurs d’une grotte,
Dans le palais aux fleurs de givre,
Les glaçons chantent et dansent.
Dans un lac souterrain, 
Six saumons valsent,
Tra-la-la-la-la,
Moi je reste lí  !

Entre temps, le roi, la reine et tous les serviteurs du palais avaient accouru dehors et dansaient de joie.

Le Garçon Pauvre se tenait fièrement devant eux, comme le brave jeune homme qu’il était, mais il n’arrivait pas ni  dire un seul mot. De toute sa vie, il n’avait jamais entendu de chant plus envoûtant, ni une fille plus belle que Clochette. Il prit son courage ni  deux mais, fit un pas en avant et s’adressa au roi Glaçon

-  Le lac, je l’ai nettoyé,
Les saumons, je les ai guéris,
Les grelots chantent et dansent,
Accorde-moi la main de ta fille

Le vieux roi lui tapota l’épaule et lui dit :

- Mon cher fils, désormais tu es le seul maître de ce palais ! Voilí  la main de ma fille. Vive les jeunes mariés ! Que les grelots carillonnent !
Le Garçon Pauvre et la princesse Clochette se marièrent et firent une fête dont on entendit parler jusqulau-delí  des plaines et des collines, jusqulí  deux pas des Portes de Fer, jusqulí  un jet de pierre du chemin caillouteux. Ils vécurent ensuite heureux et peut-être qu’ils vivent encore…