La chenille Mirmidona - première partie
- première partie -
Un conte écrit par Mediana Stan, traduit par Iulia Tudos Codreanca, illustré par Liviu Boar
Le royaume des chenilles était menacé en permanence par les sauterelles grises. Les guerres s’enchaînaient et les pertes étaient importantes des deux côtés. Les chenilles vertes régnaient depuis des générations sur un vaste territoire de pommeraies et les sauterelles grises détenaient les vergers voisins, de cognassiers et de poiriers.
Les sauterelles se multipliaient toujours plus, d’année en année, et leurs vergers de cognassiers étaient devenus trop étroits pour les nourrir toutes. Elles faisaient souvent des incursions dans les territoires voisins et grignotaient les arbres jusqulí la dernière feuille, alors que les chenilles mangeaient avec précaution, en évitant les boutons floraux et en laissent des réserves de feuilles, de sorte que leurs vergers étaient toujours verts et suscitaient la convoitise des sauterelles.
Bouton, la cité des chenilles, s’élevait au milieu du verger. Derrière ses murailles, chaque famille avait un endroit où se réfugier et les larves étaient élevées ensemble dans une grande salle, pour être mieux protégées. Clest lí que les chenilles-nounous leur apportaient des feuilles tendres et les recouvraient avec des édredons verts pour qu’elles n’aient pas froid
La princesse des chenilles, Mirmidona, était une jeune chenille sans aucune expérience dans le gouvernement d’un royaume. Ses parents, le vieux roi et la reine-mère étaient morts dans la dernière bataille contre les sauterelles grises. Et ils n’étaient pas les seuls ni y avoir laissé leur vie : le général Soixante-dix Pattes Hardies était également tombé sous les longues lances des sauterelles.
Bien entendu, le général n’avait pas vraiment soixante-dix pattes. Les pattes étaient le point fort des chenilles, qui les rendait imbattables dans leur lutte contre les sauterelles. Ces dernières, même si elles pouvaient sauter, se fatiguaient vite, car leurs sauts leur demandaient beaucoup d’efforts.
Les chenilles qui détenaient des fonctions de général renonçaient ni leurs vrais noms pour des surnoms retentissants, appropriés ni leur rang. Le modèle était le suivant : un nombre pair, minimum vingt, suivi du mot Pattes, puis d’un autre mot qui s’accordait avec l’ensemble.
Le nombre de pattes augmentait par paires, en fonctions des médailles acquises, des faits d’armes et les batailles gagnées par l’intéressé, chaque paire de pattes supplémentaire signalant une médaille. Jusqulí présent, le général tombé était le seul ni être arrivé jusqulí soixante-dix pattes.
Après la disparition de ses parents, la princesse Mirmidona passa de longues minutes en conciliabules avec ses trois généraux de réserve et ses douze conseillers, pour réfléchir ni la manière de débarrasser le royaume des sauterelles grises.
Mais durant trois heures, la discussion tourna uniquement autour des titres des généraux. Ceux-ci s’appelaient Vingt-deux Pattes Fières, Vingt-deux Pattes Prudentes et Vingt-quatre Pattes Perspicaces.
Ils soutenaient tous que pendant la dernière bataille ils avaient accumulé des tas de pattes mais que les hannetons observateurs étaient tombés des arbres et n’avaient pas eu le temps de tout noter.
- Que cela soit c’air, leur dit Mirmidona, vos noms resteront inchangés jusqulí la prochaine bataille.
Ceci souleva une vague d’objections de la part des trois généraux et des douze conseillers qui étaient devenus très insolents depuis la dernière bataille. La princesse les regarda avec consternation. Elle eut tout ni coup la bouche sèche et tenta de se lever pour mieux s’asseoir, mais le général Vingt-quatre Pattes Perspicaces, gardait une patte posée sur ses genoux.
Elle le repoussa rudement, alors il lui fit une révérence moqueuse. Elle demanda un thé vert et le chambellan lui rit au nez et lui dit que la théière était vide et qu’il fallait attendre que l’eau chauffe.
Mirmidona était une chenille mince et fort jolie. Elle avait une figure toute blanche avec des grandes tâches de rousseur roses et des grands yeux verts et mâchait tout le temps du chewing-gum fait de résine d’arbre. Sur sa tête elle portait deux longues antennes repliées vers l’avant, qui frémissaient sans cesse. A présent, elle était fatiguée et tenait ni peine sur ses pattes. (Les chenilles marchaient le plus souvent debout, sur leurs quatre paires de pattes postérieures et ne se posaient sur leurs autres pattes que lorsqulelles étaient fatiguées). Elle se leva et dit :
- Avant que je me retire, messieurs, j’aimerais vous rappeler que désormais c’est moi la Reine et que vous me devez le respect.
Llassemble s’inclina, mais dès que la princesse eut quitté la pièce, ils éclatèrent tous de rire. Mirmidona voulait aller dans sa chambre, mais elle changea d’avis en route et revint comme une furie dans la salle du conseil en c’aquant la porte contre le mur de toutes ses forces.
Puis elle cracha son chewing-gum ni la figure du général impertinent en lui collant ainsi un masque gélatineux. Elle parla sur un ton tellement mordant que les pampilles du grand candélabre qui éclairaient la salle se mirent ni s’entrechoquer.
- Bande de chenilles poilues et sans gêne ! Le royaume se trouve dans le pétrin et vous, tout ce qui vous intéresse ce sont vos grades !? J’ai un droit de vie et de mort sur vous, ne l’oubliez pas ! Si dans onze minutes vous ne me présentez pas un nouveau plan de défense, je vous donne ma parole de Reine que vous allez vous balancer dans le pommier (cela voulait dire « au gibet » dans la langue des chenilles). Elle leur jeta un regard féroce, dévisageant et mesurant chacun d’entre eux, puis sortit comme elle était entrée.
Le candélabre oscilla encore un peu, puis il tomba sur la table du conseil avec un bruit assourdissant.
- Quelle sortie ! s’exclama un conseiller rachitique et bossu, enveloppé dans une immense chasuble rehaussée de joyaux dorés en forme de pommes. Il tenta de faire de l’ironie sur le compte de la princesse mais les généraux en avaient perdu l’envie.
Aussitôt, le chambellan leur apporta des thés forts avec du poivre et de la cannelle et ils déménagèrent tous dans une salle plus petite où ils se mirent ni parlementer et ni dessiner des plans tactiques.
Pendant ce temps, une file interminable de fourmis entra dans la grande salle en portant des petits pots de glu et elles commencèrent ni ramasser les débris du candélabre et ni le reconstituer morceau par morceau et grain de cristal par grain de cristal.
Aussitôt après son réveil, Mirmidona s’empressa d’aller consulter les solutions trouvées par les généraux. Clétait la minute du repas et elle leur permit de manger avant de commencer. Mais elle ne s’assit plus parmi eux. Elle se plaça en tête de table, sur un trône en bois de rose. Quant ni eux, ils s’installèrent de part et d’autre de la table ni une distance de trois chaises.
Ils déroulèrent les cartes et les plans en grignotant des pommes. Les conseillers discutaient ni voix basse et, de temps ni autre, ils retombaient dans un profond silence pendant lequel on entendait gargouiller leurs gros ventres remplis de thé et le bruit que faisait Mirmidona en croquant des fruits.
Soudain, arriva un ver luisant espion qui avait demandé ni être présenté d’urgence ni la reine.
Il leur annonça que les sauterelles allaient attaquer dans une heure avec quatre régiments dirigés par quatre commandants, dont l’un n’était autre que le fameux général Goudron.
Vingt-quatre Pattes Perspicaces remarqua rapidement :
- Il nous faut un général de plus, altesse ! Je propose le capitaine Gros Moelleux !
Mirmidona se leva et se mit ni faire les cent pas devant les fenêtres. Elle s’apprêtait ni accepter la proposition du général quand elle vit un garçon-chenille qui lançait son javelot de telle sorte qu’il traversait les couronnes de plusieurs pommiers et se plantait dans une capsule de coquelicot. Stupéfaite, Mirmidona ouvrit des yeux comme des soucoupes. Elle articula avec difficulté :
- Amenez-moi ce garçon. Comme s’appelle-t-il ?
- Celui-lí ? Clest le lancier Bond-sur-Fleur.
Bond-sur-Fleur entra dans la salle et s’inclina très respectueusement. Sa figure respirait le courage et la bienveillance. Mirmidona le regarda et dit d’une voix décidée :
- Ce sera lui le quatrième général.
- Comment va-t-il s’appeler ? demandèrent les trois généraux inquiets.
Bond-sur-Fleur s’assit sur la troisième chaise vide près de la reine et dit :
- Ne vous vous occupez pas de mon nom. Partagez juste l’armée en quatre bataillons et nous en commanderons un chacun.
Les trois généraux n’attendaient que ça. Ils purgèrent leurs bataillons des chenilles-soldat les plus faibles et les plus stupides.
- Hm, dit Bond-sur-Fleur en voyant ses nouvelles recrues qui le regardaient avec des sourires jusqulaux oreilles. Rassemblement !
Les soldats l’entourèrent en se marchant sur les pieds.
Les quatre bataillons se mirent ni ériger, conformément aux nouveaux plans, quatre forteresses en terre battue, sur quatre positions stratégiques approuvées par Mirmidona. Les trois anciens généraux furent incapables de se faire obéir par leurs chenilles-soldats. Elles se trouvaient les unes plus intelligentes et plus inventives que les autres et se chamaillaient sans cesse pour imposer leurs propres plans. Leurs forteresses étaient imposantes, avec des formes tarabiscotées mais dépourvues de tunnels.
Par contre, les chenilles de Bond-sur-Fleur exécutaient aveuglement les ordres de leur général, ramassaient la terre et la tassaient fermement avec leurs nombreuses pattes. Elles construisirent une forteresse plus petite et labyrinthique, haute de quelques pieds et consolidée avec de l’écorce d’arbre.
Lors de l’attaque des sauterelles, les quatre détachements prirent position dans leurs forteresses et se mirent ni lancer des flèches et ni charger les canons avec des pommes pourries. Les forteresses des trois généraux avaient des murs sans créneaux et les chenilles-soldats ne pouvaient tirer ni l’arc qu’en s’exposant dangereusement.
Deux des forteresses s’écroulèrent sur leurs défenseurs et leurs attaquants. Bond-sur-Fleur sauva cependant la bataille. Grâce ni ses positions, il parvint ni envoyer ses flèches sur les envahisseurs des trois autres forteresses, abattant la plupart d’entre eux et repoussant ainsi l’attaque.
Mirmidona avait tout suivi : la formation du bataillon de Bond-sur-Fleur, la construction des forteresses et la bataille. Elle pensa punir comme il se devait les trois généraux et ordonna que l’on dresse l’échafaud.
En voyant la princesse descendre de son poste d’observation dans l’arbre et en entendant les coups de marteau de ceux qui montaient l’échafaud, les généraux commencèrent ni transpirer
Mais l’échafaud fut ni peine terminé qu’ils durent essuyer une autre attaque. Mirmidona pensa qu’ils auraient tous besoin d’un chef qui mobilise toutes les chenilles comme l’avait fait le grand général Soixante-dix Pattes Hardies. Mais qui ?
Mirmidona enfila une armure, un heaume et attrapa une lance. Elle surgit soudain ni la tête des quatre armées, prit de l’élan et jeta sa lance sur le général Goudron, brisant ainsi son bouclier et le blessant gravement.
Les chenilles n’arrivaient pas ni en croire leurs yeux, mais elles suivaient Mirmidona qui écoutait les instructions de Bond-sur-Fleur. Ce fut une victoire éclatante.
Mirmidona fut portée en triomphe sous une pluie de fleurs de pommier et couronnée Reine. Les généraux qui s’étaient héroïquement battus, furent pardonnés et ils reçurent même des pattes supplémentaires. Quant ni Bond-sur-Fleur, il fut ordonné général sous le nom de Trente Pattes Fleuries.
Pendant la même heure, on célébra les fiançailles de Mirmidona et du général Trente Pattes Fleuries. Ce fut une grande fête dans la citée. Les chenilles burent du vin rose et dansèrent ni perdre haleine. Mais lorsque les fiancés sortirent pour se promener sous les pommiers fleuris, ils furent attaqués pars des sauterelles et malgré les coups de lance de Bond-sur-Fleur, la reine fut enlevée et emportée dans la Cité Grise.